CHAPITRE CINQ – LA LIBERATION FINALE

Entrez par la porte étroite.
Car large est la porte,
spacieux est le chemin qui mènent à la perdition,
et il y en a beaucoup qui entrent par là. Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie,
Et il y en a peu qui les trouvent. Matthieu 7:13,14 (Louis Segond)

Finalement nous sommes arrivés à l’hôpital. Le chauffeur de l’ambulance m’a levé et m’a placé sur une chaise roulante qu’il a poussé en vitesse aux urgences. Quelqu’un a pris ma tension artérielle.

Tout le temps que j’étais assis là, je fixais mes yeux sur l’infirmière. Elle a regardé son instrument, et puis elle a tapé dessus. J’ai pensé : « C’est quoi comme hôpital, ici?» C’était un vieil hôpital militaire de la Deuxième Guerre Mondiale. Les Britanniques l’avaient abandonné et l’avaient donné aux Créoles. Il avait toujours l’air d’avoir été construit en 1945. Il était tout sale et croulant et pourtant c’était là où je me trouvais.

Ian devant l’hôpital en 1994

L’infirmière a tapé sur l’instrument de nouveau. J’ai commencé à penser : « Ce n’est pas la machine qui ne fonctionne pas, c’est mon cœur. Il ne pompe plus.» Elle a jeté l’instrument et est allée fouiller dans un placard, afin d’en trouver un autre, qui avait l’air plus neuf. Elle en a sorti un, qu’elle a ouvert et placé sur mon bras. Puis elle l’a ouvert et a commencé à pomper. Je pouvais voir que malgré ses actions, l’instrument n’enregistrait pas beaucoup. Elle m’a regardé, moi, et puis la machine. J’avais les yeux ouverts, mais je savais qu’elle était en train de se demander pourquoi ils étaient ouverts. Avec une tension artérielle aussi basse, on ne devrait pas avoir les yeux ouverts. Je m’accrochais désespérément à la vie. Je m’y accrochais de toutes mes forces. Je ne voulais aller nulle part. Je voulais rester dans mon corps. Je ne voulais pas mourir. Je me battais de toute ma force pour rester en vie.

Alors, le chauffeur d’ambulance, tenant compte de la gravité de la situation, a arraché l’instrument de mon bras, et m’a poussé vite vers les médecins. Deux docteurs indiens étaient assis là, tous les deux à moitié endormis, les têtes basses. « Comment vous appelez-vous, où habitez-vous? » m’a demandé l’un des deux en français. « Quel âge avez-vous?» C’était un jeune médecin, et il ne m’avait même pas regardé. J’ai tourné mes yeux vers le médecin plus âgé. Il avait quelques cheveux gris, et j’ai pensé : « Celui-ci est ici depuis quelques années. Peut-être lui a une idée pour m’aider. » Alors j’attendais. Le jeune médecin avait arrêté de parler et a levé les yeux. Je ne prenais même pas la peine de le regarder, mais j’attendais à ce que le vieux lève la tête. Il a levé ses yeux. Je n’étais pas sûr si j’avais assez de force pour parler. En le regardant droit dans les yeux, je l’ai percé d’un regard le plus profond que je pouvais. J’ai chuchoté : « Je suis en train de mourir. J’ai besoin d’anti-toxines tout de suite.» Il n’a pas bougé. Je ne l’ai pas quitté de mes yeux. Il était en train de me fixer du même regard.

L’infirmière est entrée avec une feuille de papier à la main. Le médecin plus âgé a regardé le papier, puis moi et puis il a sauté. Je pouvais le voir froisser le papier d’un air dégoûté, comme s’il voulait dire au médecin plus jeune: « Idiot, pourquoi n’as-tu pas regardé ce jeune homme? » Il s’est levé en sautant et, repoussant le chauffeur de l’ambulance, il s’est emparé de la chaise roulante lui-même et a commencé à me pousser à toute vitesse le long du couloir. J’entendais une sorte de bruit emmitouflé. Je l’entendais hurler quelque chose, mais pour moi c’était emmitouflé.

Le médecin est entré en courant dans une salle où il y avait des bouteilles et de l’équipement médical. Une minute après, j’étais entouré d’infirmières, de médecins et d’assistants. Enfin ça bougeait. Une infirmière a tourné mon bras afin d’y insérer une perfusion alimentaire. Le médecin s’est approché de moi et m’a dit : « Je ne sais pas si tu m’entends, fiston, mais on va essayer de te sauver la vie. Garde tes yeux ouverts… Allez, fiston, bats-toi contre le poison. Essaie de rester éveillé. Ça va aller, on essaie de te donner du dextrose contre la déshydratation. » Une infirmière a injecté une seringue d’un côté et une autre infirmière, qui se tenait de l’autre côté, m’a piqué aussi. Je ne pouvais rien sentir, mais je les voyais en train de le faire. Le médecin disait : « Des anti-toxines pour combattre le poison » dans son meilleur ‘Oxford Engliche’. Une autre infirmière était agenouillée à mes pieds, en me tapant sur la main aussi fort qu’elle pouvait. Je pensais : « Qu’est-ce qu’elle fait? » Mais ce qui m’importait était que la piqûre arrive à l’intérieur!

Derrière moi une infirmière était en train de remplir une immense seringue, telle une seringue pour un cheval. Elle forçait l’air d’en sortir. Elle essayait de l’enfoncer dans mon bras, mais aucune veine ne se présentait. Alors en levant la peau, elle a enfoncé l’aiguille et a commencé à injecter le liquide. Il a rempli ma veine comme un petit ballon. Je pouvais voir à quel point l’infirmière était nerveuse, parce que l’aiguille qui était dans ma veine semblait trembler tellement qu’elle risquait de déchirer ma veine et de l’ouvrir complètement.

Elle a laissé cette aiguille dans mon bras, et quelqu’un lui a passé une deuxième. De nouveau, celle-là a gonflé la veine. L’infirmière a regardé le médecin et lui a demandé : “Encore une?” Le médecin a fait “oui” de sa tête. Alors, elle en a essayé une autre. Une deuxième infirmière essayait de faire entrer le liquide en massant la veine, qui roulait tout simplement. En effet la veine roulait sous son pouce. Elle n’arrivait pas à faire entrer l’anti-toxine dans le sang. Ça ne bougeait pas. Il était évident que mon coeur ne pompait pas assez de sang. Mes veines étaient en train de s’effondrer. Ayant fait la science vétérinaire dans mes études, j’avais étudié et compris les bases de la physiologie et de l’anatomie. Je pouvais comprendre ce qui se passait, mais je ne pouvais rien faire. J’avais compris que j’entrais dans un état comateux. J’étais totalement paralysé. Mon coeur arrivait au point où il ne fonctionnait plus. Je me sentais en train de m’éloigner de plus en plus. Je ne pouvais plus communiquer, je ne pouvais rien dire, mais j’entendais toujours tout ce qu’on disait de moi autour de moi.

Je n’avais aucune idée que ce qui m’avait piqué était une méduse de la classe des cuboméduses, ou une ‘guêpe de mer’, porteuse du deuxième type de venin connu comme le plus mortel pour l’homme.

A Darwin seulement, jusqu’à 60 personnes sont décédées ces 20 dernières années juste après avoir été piquées une seule fois. Ainsi, pendant une période de 6 mois durant l’année, on met une tête de mort aux plages de Darwin, afin d’empêcher les baigneurs d’entrer dans l’eau pour nager.

J’avais assez de toxines dans mon corps pour me tuer cinq fois. Normalement, une personne meurt dans les quinze minutes après la première piqûre. Je ne l’avais pas seulement sur un muscle. Le poison circulait partout dans mes veines. Le médecin m’a regardé droit dans les yeux en disant : « N’aie pas peur. » J’ai pensé : « Mon ami, vous êtes plus effrayé que moi.» Je pouvais voir la paranoïa dans ses yeux. On m’avait élevé et placé sur un lit avec ma perfusion. Le médecin se tenait à mes côtés, en m’essuyant avec une éponge, mais il m’a quitté après quelques minutes.

Pendant que je me reposais là, je sentais la transpiration couler dans mes yeux, et cela a commencé à rendre ma vision floue. C’était comme si j’avais des larmes aux yeux.

« Je dois garder mes yeux ouverts, » continuais-je à me dire. J’ai essayé de faire revenir le médecin pour qu’il me nettoie le visage, par la force de ma volonté, mais il n’est pas revenu. J’ai essayé de parler : « Docteur, revenez … », mais mes lèvres ne voulaient pas bouger. J’ai essayé d’incliner ma tête, mais ma tête ne voulait pas bouger. Alors j’ai fait sortir la transpiration avec mes paupières. J’ai pressé mes yeux un peu, mais je voyais déjà flou. J’ai continué à serrer mes paupières. Ça marchait un peu, et puis, tout d’un coup, j’ai soupiré, comme un soupir de soulagement, et je savais qu’il s’était passé quelque chose.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *