Chapitre Deux: La Cuboméduse

CHAPITRE DEUX – LA CUBOMEDUSE

Et sur ton livre étaient tous inscrits les jours qui m’étaient destinés, avant qu’aucun d’eux n’existât.
Psaume 139:16 (Louis Segond)
Quelques semaines après mon retour sur l’île Maurice, j’ai loué une maison et j’ai recommencé à faire du surf et de la plongée de nuit. Là ai rencontré de nouveau mes amis créoles, et ils m’ont invité à aller faire de la plongée. A peu près une semaine avant mon retour en Nouvelle Zélande, ils m’ont proposé d’aller encore faire de la plongée de nuit. Je suis sorti sur la véranda comme d’habitude et j’ai vu une tempête en train de faire rage sur l’océan. Me tournant vers mon ami Simon, je lui ai demandé « Tu es sûr ? As-tu vu l’orage ? » J’avais peur que l’orage n’apportât trop d’écume sur le récif, ce qui pouvait être dangereux. Mais Simon me répondit « Cela devrait aller. On descendra la côte jusqu’à une partie magnifique du récif, à peu près à huit kilomètres d’ici. Tu seras vraiment émerveillé par sa beauté. »

Simon

A la fin, il m’a persuadé d’y aller. Il était environ 11h du soir. Prenant tout mon matériel avec moi, j’ai sauté dans le bateau et nous sommes partis. Nous avons descendu la côte en ramant, nous étions à environ 800 mètres de l’île. C’était la lagune intérieure, et nous faisions la plongée sur la partie extérieure du récif, là où il y avait une pente à pic. Il pleuvait alors abondamment.

Nous avons plongé. Moi, je suis allé vers le haut du récif, pendant que mes amis sont allés vers le bas. Normalement nous restions toujours ensemble, mais pour une étrange raison, nous nous sommes séparés cette fois-là. J’étais occupé à chercher des langoustes quand j’ai vu quelque chose dans l’eau qui ressemblait à un calmar.

Curieux, j’ai nagé vers lui, et en tendant la main, je l’ai même saisi. Je portais mes gants, et il a passé à travers mes doigts comme une méduse. Pendant qu’il partait en flottant, je l’ai regardé d’un air perplexe, parce que c’était une méduse très bizarre. Elle avait ce qui paraissait être la tête d’un calmar, mais dont la forme était cubique, et elle avait des tentacules étranges, un peu comme des doigts. En plus, elle était transparente. Je n’avais jamais vu ce genre de méduse avant, et je me suis détourné d’elle afin de continuer ma recherche de langoustes.

Cuboméduse(Box jellyfish)

J’éclairais le récif avec ma torche (sous-marine), en cherchant ma proie, quand quelque chose m’a piqué. Je me suis redressé pour voir ce que c’était. Je portais une combinaison de plongée à manches courtes, alors les seules parties de mon corps qui n’étaient pas couvertes, c’étaient mes avant-bras. Quelque chose venait de m’effleurer et m’avait piqué d’une force incroyable. C’était comme si je me tenais pieds nus sur le béton dans une étable, en reposant mes mains sur l’alimentation électrique. Le choc était terrible. Je reculais et tentais de découvrir ce que c’était ou de le repérer avec ma torche sous-marine, mais je ne voyais pas ce qui m’avait percuté. Peut-être quelque chose m’avait mordu, ou je m’étais coupé sur le récif. J’ai regardé mon bras pour voir s’il y avait du sang, mais il n’y avait rien, juste une douleur lancinante.
J’ai frotté mon bras, apparemment une des choses les pires que j’aurais pu faire. Maintenant la douleur semblait m’engourdir un peu, donc je l’ai laissée en pensant « Je vais attraper une langouste et puis je vais retourner au bateau demander au garçon ce que c’était ». Je ne voulais pas devenir paranoïde. Quand on fait de la plongée, il ne faut jamais paniquer ou perdre son contrôle.
Alors, je suis parti à la recherche d’une langouste. Quand j’ai plongé de nouveau, j’ai vu les mêmes méduses que j’avais vues tout à l’heure. Deux d’elles s’approchaient de moi tout doucement, avec leurs mouvements pulsatifs.

Du coin des yeux j’ai vu leurs tentacules s’effleurer mon bras. Quand elles le touchaient, j’ai senti le même courant électrique passer dans mon bras. Il m’en a vraiment bouché un coin. Tout d’un coup j’ai compris ce qui m’avait frappé !

Grâce à mon expérience en tant que sauveteur, je savais que certaines méduses sont terriblement venimeuses. Quand j’étais enfant je souffrais du rhume des foins et j’avais eu des réactions allergiques tellement fortes que si j’étais piqué par une abeille, ma jambe se gonflerait comme un ballon. Maintenant je commençais vraiment à avoir peur, car je venais d’être piqué deux fois par ces méduses.

J’ai nagé à la surface pour voir où était le bateau. Je pouvais à peine le distinguer un peu plus bas, près du récif. J’ai sorti mon bras de l’eau. Je ne voulais pas être piqué encore une fois. Pendant que je nageais comme ça, je sentais quelque chose glisser sur mon dos et puis j’ai eu encore un courant dans le bras. En tournant la tête, j’ai vu les tentacules disparaître. Je venais d’être piqué une troisième fois!

J’ai tourné ma torche dans l’eau afin de garder un œil sur le récif et j’ai vu avec horreur que ma torche était en train de traverser une soupe de ces méduses. J’ai pensé « S’il y en a une qui me frappe le visage, je ne crois pas que je puisse retourner au bateau ». Alors, j’ai mis la torche tout près de mon visage, et j’ai nagé. Une fois à côté du bateau, j’ai demandé au jeune garçon dans mon meilleur français et créole, s’il savait ce qu’elles étaient, ces méduses. Il ne savait pas, parce qu’il n’était pas plongeur. Il a secoué la tête, en faisant signe à mon ami Simon dans l’eau. Donc, je suis retourné dans l’eau, et j’ai nagé vers lui.

Je pouvais le voir sous l’eau, et j’ai dirigé ma torche dans son visage pour attirer son attention. Il est monté à la surface, et je lui ai dit « Je veux sortir ». J’ai mis ma tête de nouveau dans l’eau pour retourner au bateau et tout droit devant moi, il y avait encore une méduse qui se lançait vers moi. J’ai dû choisir. « Elle va me frapper au visage, ou je la prends sur le bras? » Alors, j’ai levé mon bras et j’ai pris encore une piqûre là-dedans. En repoussant cette méduse, je suis sorti sur le récif.

60cm d’eau couvrait le récif même. Debout dans mes palmes j’ai regardé mon bras, qui était littéralement gonflé comme un ballon, avec des lésions sur la peau comme des brûlures ou des cloques. C’était comme si je l’avais brûlé sur une cuisinière, là où les tentacules avaient été traînés.

Pendant que je le regardais, mon ami Simon s’est approché de moi, marchant sur le récif dans ses palmes. Lui portait une combinaison de plongée entière, et n’avait pas rencontré les méduses.

D’abord il a regardé mon bras, et puis moi. Il m’a demandé « Combien ? Combien de fois tu as été piqué? ». J’ai répondu : « Quatre, je crois.» Il a continué : « C’était invisible? C’était transparent? » J’ai répondu : « Oui, ça avait l’air invisible. » Simon a laissé tomber sa tête. Puis il a fait un juron. Il a dit : « Une piqûre, et t’es fini, juste une! ». Quand il a éclairé son visage avec sa torche je pouvais voir que la situation était bien grave. Alors j’ai dit : « Eh bien, moi, qu’est-ce que je fais avec quatre dans mon bras ? »

Simon était en train de paniquer, et moi aussi, je paniquais, parce que lui, il faisait de la plongée depuis plus que 20 ans, et il connaissait ces méduses-là. « Tu dois aller à l’hôpital » a-t-il dit.

« Allez, allez ! Vite, man ! » L’hôpital principal se trouvait à une distance de 25 – 30km, c’était au plein milieu de la nuit, et j’étais à 800 mètres de la côte, sur un récif. Je pouvais l’entendre dire « allez », mais j’étais paralysé là. Il faisait des efforts pour me rentrer dans le bateau. Pendant qu’il me tirait, j’ai réalisé que mon bras droit était paralysé et que je ne pouvais pas le sortir de l’eau. A ce moment-là j’étais piqué pour la cinquième fois.

Dans mon coeur je pensais : « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ceci?». Puis j’ai eu un flash-back de mes péchés. Dans un instant je savais tout le mal que j’avais fait. J’avais fait plein de choses qui pouvaient mériter ceci. On ne se tire pas d’une situation sans être puni.

Mes deux amis portaient le bateau sur le récif avec moi à l’intérieur. Les rochers lui déchiraient le fond. C’était un bateau en bois, et il était leur gagne-pain, alors je savais que la situation était très grave pour qu’ils fassent cela. Ils l’ont transporté dans la lagune et ils nageaient, tout en essayant de pousser le bateau, pour qu’il bouge. J’ai dit : « Venez avec moi ! » Mais ils ont répondu : « Non, c’est trop lourd. Le gamin va te mettre sur la plage ». Alors ce gosse poussait le bateau vers la plage avec un poteau.

Bateau en bois de l’île Maurice

Je sentais le poison passer dans mon courant sanguin et donner un coup à quelque chose sous mon bras. Il avait frappé un ganglion lymphatique. Cela devenait de plus en plus difficile pour moi de respirer dans le poumon droit. Celui-ci était comprimé par ma combinaison, alors j’ai défait la combinaison avec mon bras gauche, puis je l’ai enlevée et j’ai mis ma culotte pendant que je pouvais toujours bouger. J’avais la bouche sèche et j’y étais assis, trempé par la transpiration.

Je sentais le poison couler en moi. Je sentais une douleur forte dans le dos, comme si quelqu’un venait de me frapper dans les reins. J’essayais de ne pas bouger, de ne pas paniquer. Nous n’avions fait que la moitié de la distance pour atteindre la plage et je sentais le poison littéralement pulser à travers mon vaisseau sanguin.

Je n’avais jamais su dans quelle direction circulait le sang jusqu’à ce soir-là, mais je vous assure que je commençais vraiment à m’intéresser à la direction de la circulation de mon sang ! Le poison était en train d’engourdir entièrement ma jambe droite, et j’avais assez de sens commun pour savoir que s’il descendait cette jambe-là et revenait à mon cœur ou à mon cerveau, j’allais être un homme mort. En m’approchant de la plage, ma vision devenait de plus en plus floue. J’avais difficile à me concentrer. Quand on est arrivé à la plage, le garçon a dit, « Allez, on va sortir d’ici. » Je me suis levé pour sortir et ma jambe droite s’est écroulée sous mon poids … Je suis tombé directement sur la langouste, au fond du bateau. Le jeune garçon a reculé, un peu choqué, puis il m’a fait signe pour que je mette mon bras autour de son cou. J’ai fait cela, puis j’ai saisi le bras paralysé avec mon bras qui fonctionnait bien et j’ai tenu fort. Le garçon m’a tiré du bateau et puis sur la plage, sur le sable corail. Il m’a traîné jusqu’à la route principale.

Il était environ minuit. L’endroit était désert – aucune voiture, rien. Je m’accrochais au jeune garçon tout en pensant comment j’allais gagner l’hôpital à cette heure tardive de la nuit. Ma jambe droite était si faible que je me suis assis sur le macadam. Le jeune garçon a essayé de m’aider, mais à la fin il a de nouveau commencé à faire signe vers l’océan, en disant, « Mes frères sont là-bas. Je dois aller les chercher ». J’ai dit : « Non, toi, tu restes ici pour m’aider ». Mais il a fini par partir. . . .

Rivière Noire, où on a accosté le bateau et déposé Ian

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